Ce qu’elle déteste par-dessus tout, c’est vider les poches.
Elle est partagée entre le sentiment d’intrusion dans des vies qui doivent rester un tant soit peu privées, la transparence qu’elle leur renvoie, comme si ce qu’elle pouvait découvrir leur importait peu, et le statut de celle qui nettoie leur saleté, sans remerciements.
Accroupie sur le sol devant le tas de linge, elle trie, vide, remet à l’endroit, inspecte les taches, soupire devant celles qu’elle devine récalcitrantes, vérifie les étiquettes, entasse le tout dans le tambour de la machine.
Un papier froissé s’échappe du linge.
Elle le ramasse sans y prêter attention, enclenche le bouton, se redresse difficilement en pensant qu’il faut qu’elle leur demande de la Javel pour blanchir les chemises devenues grisâtres avec le temps.
Elle serre le poing sur le bout de papier qui se rappelle soudain à sa mémoire. Elle le déplie mécaniquement, le regarde distraitement s’apprêtant déjà à le jeter dans la poubelle.
Pourtant, elle s’arrête, défroissant soigneusement l’image pour mieux la découvrir.
C’est une photo. Une drôle de photo, sans personnages.
Pourquoi en prendre si c’est pour les oublier dans une poche ?
Elle cherche ses lunettes dans son tablier, les chausse rapidement pour mieux observer l’image.
La chaleur du soleil, le bruit des vagues, l’odeur des crèmes solaires, le rire des enfants, une flopée de souvenirs affluent soudain comme une déferlante qu’elle ne peut stopper.
Elle glisse doucement sur le sol, le dos appuyé au mur, tenant l’image à deux mains.
Depuis combien de temps n’a-t-elle pas goûté à ces instants paisibles ? A-t-elle jamais décapsulé une bouteille de bière qu’elle aurait bue au goulot ?
C’est les vacances. Il fait beau. Ils décident d’aller boire une bière à la plage. Ils sont vieux parce qu’ils ont apporté une couverture. Je trouve ça choquant parce que chez moi, les vieux, ils ne boivent pas de bière.
Non, je me suis trompé ! Ce ne sont pas des vieux parce que jamais des vieux ne porteraient des chaussures comme ça. Bon alors, je dirais que ce sont deux jeunes qui boivent en cachette de leurs parents. C’est logique.
Deux amants se retrouvent pour la journée. Elle est romantique, lui pas. Elle veut se marier, lui pas. Il a apporté des bières, parce qu’à la plage, il n’y a rien d’autre à faire.
C’est une photo exposée dans une galerie parisienne. Le photographe a laissé son enfant jouer avec son appareil et lorsqu’il a développé la pellicule, il a trouvé que ce cliché pourrait appartenir à n’importe qui, alors, il a décidé de l’exposer afin que chacun aille à la rencontre de ses propres souvenirs.
En corrigeant les copies, le professeur de français, Monsieur Kévin, se dit que parfois, cela a du bon d’avoir une épouse blogueuse. Il faudra qu’il songe à lui emprunter ses idées un peu plus souvent…
Participation aux « Jeux d’Ecriture » de Lisly, relayé par Madame Kévin.