- Tu es prête ?
- Non.
- C’est une blague ?
- Non. Je ne sais pas quoi mettre.
C’est bien un truc de bonnes femmes ça ! Des placards qui dégueulent et jamais rien à se mettre sur le dos. Et toi, tu ne fais pas exception à la règle. A une différence près : Tu joues tellement au yo-yo que la taille de tes vêtements varie entre le 38 (que tu fantasmes un jour de porter) et le 46. Quand je te regarde, je me dis que tu ferais aussi bien de passer directement au 48.
- Alors, tu te magnes ?
- Oui, j’arrive ! De toute façon, ils ne pourront pas commencer sans moi.
- Et pourquoi ça ?
- Parce que c’est moi qui ai les alliances !
Finalement, ça ne m’étonne pas. Tu as le chic pour fourrer ton long nez partout, te rendre indispensable alors que personne ne t’a rien demandé.
- Tu aimes ?
A quoi bon prendre le temps de te regarder ? Je te connais par cœur…
- Tu es parfaite.
D’ailleurs, tu n’ m’écoutes pas, tu m’as déjà tourné le dos, indifférente à mon opinion. Tant mieux, ce sont autant de problèmes évités.
Je me demande pourquoi tu aimes autant les mariages. Quand on voit le nôtre on aurait plutôt envie de fêter les divorces !
- Tu te souviens de notre mariage ?
Et v’lan, voilà que tu remets ça !
Mais pauvre nouille, ça fait trente ans que j’essaie d’oublier ! Trente ans que je me suis fait berner par ta prétendue grossesse de merde ! Trente ans que t’es cocue ma pauvre et que je sais que tu sais. Trente ans que tu me traînes de mariage en mariage et que j’y chasse mes maîtresses toujours plus jeunes, plus fermes et plus belles que ta face de coker ! Quoique tout bien considéré, je craigne d’offenser l’animal…
Trente ans que tu refuses le divorce uniquement pour m’emmerder…
Vas-tu finir par crever à la fin !
Dans l’encadrement de la porte, elle observe son époux. En spectatrice silencieuse, elle entend ses pensées qui ne la blessent plus depuis longtemps. Elle s’avance vers lui et lui tend les clés de la voiture :
- Je suis prête.
Puis elle ajoute, provocante :
- Ne pense plus, tu te fais du mal.
Ah… Pour un peu, je t’étranglerais ! J’imagine ton visage congestionné, rouge du sang emprisonné, tes yeux écarquillés, la bouche ouverte sur ta langue gonflée, ton…
- Hé ho ? Tu rêves ?
- C’est ça, je rêvais…
- Peut-être qu’il se réalisera un jour ton rêve, répond-elle, le fixant de son œil narquois.
L’homme ne prend pas la peine de répondre, il se contente d’attraper les clés de la voiture, jouissant de lire sur le visage de son épouse toute la frustration d’une querelle avortée.
Dans l’auto, les mains agrippées au volant, son esprit l’entraîne vers des pensées meurtrières.
« La place du mort, pense-t-il, elle occupe la place du mort… »
Songeur, il cherche pourquoi le siège du passager est appelé de la sorte.
« Sans doute existe-t-il des statistiques sérieuses sur le sujet, les pourcentages ont certainement démontré que, lors d’un accident automobile, l’occupant du siège avant droit est le plus exposé aux risques mortels… »
Il fouille sa mémoire à la recherche de faits divers ayant entraîné la mort du passager mais la survie du conducteur.
Un choc frontal contre un mur ? Une collision sur l’autoroute ? Ou bien un virage mal calculé entraînant la chute du véhicule dans le ravin ?
Il se prend à évaluer les chances, pour lui, d’en réchapper indemne et les risques, pour elle, de s’en sortir sans égratignures ou pire, physiquement impotente, ce qui le réduirait « ad vitam æternam » à la merci des exigences de sa femme.
- Plutôt crever moi-même…, marmonne-t-il.
- Plaît-il ? intervient son épouse.
- Ta gueule…formule-t-il, les lèvres closes.
Il rattrape le fil de ses pensées, décide qu’il ne doit pas agir dans la précipitation. Il n’aurait droit qu’à un seul essai.
Il commencerait par des recherches sur internet, étudierait avec soin les meilleurs accidents. Il chercherait un lieu suffisamment dangereux pour faire taire les éventuels soupçons, mais pas trop non plus pour y risquer d’y laisser sa peau. L’idéal serait qu’il puisse faire un essai. Avec un mannequin par exemple, ce qui lui permettrait d’évaluer si les blessures pourraient se révéler mortelles ou pas.
Bien sûr, il faudrait veiller à effacer toute trace de ses recherches sur son compte internet.
Ce projet l’excite tellement qu’il dépose tendrement un baiser sur la joue grasse de son épouse stupéfaite.
La jeune femme referme brusquement son livre. Son fiancé sursaute, étonné par cette violence.
- C’est pas bien ? lui demande-t-il.
- C’est ta mère qui m’a conseillé ce livre. Elle pensait que ça me détendrait à la veille de notre mariage… Au fait, ton père, il est mort de quoi déjà ?
Consigne de l'Atelier: Mariage