Le téléphone fait entendre sa douce mélodie.
Trois gremlins se ruent sur l'appareil sans défense.
- C'est moi qui réponds !
- Non, c'est moi !
- Ouin ! Tu m'as écrasé le pied !
J'observe la scène, blasée. Il y a des principes d'éducation qui ne s'acquièrent jamais...
Le gagnant du jour décroche, narguant les deux laissés pour compte :
- Allô, c'est qui ?
Autre principe tombé en désuétude : Bonjour !
- Oui, elle est là. Tu veux quoi ?
Ah mais ! De quoi j'me mêle ! J'arrache le combiné en sermonnant bien fort l'insolent pour que mon interlocuteur sache que, malgré les difficultés, je ne renoncerai jamais à lui inculquer le b.a.-ba de la politesse !
- Tu pourrais AU MOINS dire bonjour !
Puis, plus bas :
- C'est qui ?
- J'sais pas.
Et inutile avec ça !
Je le congédie de mon œil noir.
- Allô ?
- ...
- Ah, salut ! Ca va ?
C'est ma copine Marion.
- Non, non, tu ne me déranges pas...
Enfin si, quand même un peu... Toute mère qui se respecte sait qu'entre 18 et 20 heures, c'est le moment critique, cependant, j'ai tout se suite décelé l'urgence de l'appel. L'heure est grave.
- Non ??? je fais en arrêtant de touiller ma sauce, j'te crois pas ! Ouais,ouais, vas-y, raconte !
J'écoute religieusement ses révélations tout en réduisant le feu, déshabillant la petite pour la doucher, coinçant le téléphone sur l'oreille droite en remerciant silencieusement celui (ou, vraisemblablement celle) qui a inventé le sans-fil.
Et là, le scénario de Gremlins IV s'écrit devant moi :
- Ca pique ! Ca pique ! crie le petit mogwaï en transmutation, alors que je n'ai même pas commencé à le laver.
- Maman !!! hurle son frère de l'autre bout de la maison, pensant certainement que j'ai des oreilles bioniques, lui évitant ainsi de se déplacer inutilement.
- C'est quoi la loi universelle de la gravitation ? questionne la troisième, me collant son cahier sous le nez.
Je ne réponds pas (qu'est-ce que j'en sais, moi...), occupée à calmer les hurlements de Gysmo métamorphosé. Je fais patienter Marion :
- T'as deux secondes là ? Attends ! Deux secondes et je suis à toi.
- MAMAN !!!!!!!! braille l'autre qui n'a toujours pas bougé d'un pouce.
- QUOI ???
- Tu peux venir ?
- NON !
Je sors la bestiole de la douche, l'enveloppe d'une serviette et lui intime l'ordre de se mettre en pyjama. Je cours m'enfermer dans ma chambre.
- C'est bon Marion, je suis là. Fais vite, ça ne va pas durer.
Elle comprend la situation, met le turbo et au moment où elle va faire la révélation du siècle, la porte explose dans un coup de tonnerre, laissant pénétrer trois affreux personnages, hurlant de rire, mettant à sac la seule pièce jusque là préservée.
Je fuis vers le salon, ils me suivent en courant.
Paf ! Il y en un qui vient de se cogner dans le mur. Re-hurlements.
- Quoi ? Non, non, je t'écoute mais ils sont en pleine transfiguration là, d'ailleurs, ils sont où les tiens ?
Ah oui, évidemment, elle les a casés chez les grands-parents, tu m'étonnes qu'elle appelle à cette heure-ci...
Je sens comme un tiraillement au niveau du T-shirt :
- Je peux inviter une copine demain ? Maman ?! Tu m'écoutes ?
Je ne fais que ça, ma chérie, je ne fais que ça...
Et l'autre qui saute à pieds joints sur le dos de sa sœur !
Je capitule. Je raccroche promptement, me retourne vers ces empêcheurs de téléphoner en paix, prête à leur rappeler comment je m'appelle quand, miraculeusement, les larmes sèchent, les hurlements cessent. Trois sourires satisfaits s'affichent et ils me plantent là, sans plus de cérémonie.
Dring...Dring...
« Actuellement prise en otage par une bande de gremlins, je suis dans l'incapacité de répondre intelligemment à votre appel. Pour toute requête urgente, contactez Marion. »