Lorsqu’on se lance dans l’aventure ô combien nébuleuse qu’est celle de se multiplier, loin de nous l’idée, qu’un jour, ces mignons petits bébés qui sourient béatement à notre seule vue, se transformeront brutalement en grandes bringues à l’allure nonchalante, traînant leur pauvre carcasse de pièce en pièce, marmonnant des paroles incompréhensibles tout en nous jetant quelque regard en biais, consternés que leur être suprême soit issu de l’union de deux entités aussi dénuées d’intérêt qu’un citron pressé.
La seule pensée que leurs géniteurs aient été eux aussi des adolescents traversant les affres de cette fameuse crise ne les effleurent pas : Leurs parents sont nés parents et n’ont été crées que pour les empêcher de se réaliser pleinement, d’aller à la rencontre de leur moi profond, ce qui, bien entendu, passe par toutes sortes d’expériences dont le résultat désastreux est de faire carburer la mère aux somnifères et d’augmenter considérablement les risques d’infarctus du père.
Comme disait mon ami le p’tit Gibus (à quelque variation près) : « si j’aurai su, j’aurai pas pondu » parce qu’en observant mes amies affrontant courageusement la traversée du désert, j’ai comme une furieuse envie de congeler mes trois vers de terre jusqu’à qu’ils aient atteint la trentaine bien sonnée !
Tout commence avec le préado, lequel, n’ayant ni poil au menton ni tétés qui pointent, n’en est pas moins un petit insolent qui ose remettre notre autorité en question tout en soufflant et levant les yeux au ciel parce que non, aujourd’hui, on n’invitera pas de copain et ce serait sympa de ramasser ta serviette qui traîne dans la salle de bain, merci ! Et on passera sous silence la chambre mal (pas) rangée, les culottes (sales) qui commencent à s’accumuler sous le lit ainsi que le placard à vêtements qui semble avoir été victime de la bombe atomique…
La préadolescence, donc, nous donne un aperçu gentillet de ce que l’on va subir puissance dix mais nous octroie cependant un temps d’adaptation pour acquérir vite fait un gilet pare-ado.
Une fois échauffés, déferle l’adolescence avec, en prime, sa crise. Ah, l’alien qui déboule dès le matin, sans un mot, le sourire oublié depuis longtemps dans le coffre de l’enfance, n’adressant la parole que pour tancer son petit frère ou réclamer quelque denier pour aller zoner avec son espèce. Si, par malheur, on ose lui rappeler que le bac, c’est dans deux semaines, on nous toise, hautain, avant de déclamer à qui veut l’entendre :
- Moi, de toute façon, j’vais m’casser d’ici, avoir mon appart’ que j’partagerai avec mes potes et enfin, j’pourrai vivre ma vie !
Sauf que nous, on l’a déjà dit avant eux et comme nos parents, on leur assène la triste vérité :
- Et de quoi tu vas vivre, triple andouille ?
Je vous épargnerai la suite, on la connaît.
Il n’empêche, rien qu’à voir sa mine boutonneuse dégoûtée de celui dont les parents sont encore plus à l’ouest que la moyenne, on lutte contre cette impulsion qui nous susurre de le plaquer au mur afin de lui enfoncer ce fameux plomb qui lui fait défaut.
Une fois le bac décroché (dans le meilleur des cas), s’ensuit le long chemin de croix du choix des études. Confiants dans les capacités enfouies de notre ado, nous tentons de l’aiguiller vers une voie qui lui assurera cette indépendance tant convoitée. Sommes-nous étonnés, à voir son expression bovine, de l’entendre marmonner :
- Me stressez pas ! J’ai besoin d’une année pour réfléchir… D’ailleurs, les parents de Pierre l’ont bien compris eux, ils lui paient un tour du monde de 6 mois pour qu’il déstresse de la pression du bac…
On a beau se pincer très fort, non, on ne cauchemarde pas et mettons fin à cette discussion par un :
- Et moi, je te paie un tour de ta chambre de 12 heures au terme desquelles tu es prié de nous informer comment tu comptes trouver de quoi becqueter dans les prochaines années ! Rompez !
Claquements de porte, musique à fond, crise d’hystérie (pour les filles) etc, etc…
En résumé, l’adolescence est une période de grand désarroi où l’on ressort les albums photos pour contempler notre bambin de deux ans transformé en hurluberlu ingrat et on pleure !
Après avoir aussi finement observé le comportement des ados de mes copines, je suis confiante en mes capacités de faire mieux que leurs mères lessivées par des années de lutte.
Et puis, rien qu’à voir la bouille de mon gremlins n°3 qui approche vers moi, je décide qu’elle n’a vraiment pas la tête de l’emploi.
- Maman ? Tu sais ce que je veux faire quand je serai grande ?
Oh ! Si jeune et déjà elle songe à son avenir… Adorable petite…
- Non ma chérie, dis-moi.
- Plus tard, je ferai crise d’adolescence !
Harakiri…Tout de suite !