Je déteste le rose.
Sans doute, en d’autres temps, l’eussé-je aimé, mais, comment vous dire, entre le rose et moi, c’est devenu physique, on ne se supporte plus !
Comment en sommes-nous arrivés là ? Entre nous, tout avait si bien commencé…
Voyez-vous, je suis née dans le rose, d’ailleurs, à ma naissance, ma mère a tout de suite donné le ton : « Voyez ce teint de rose ! ».
Dire que cette phrase, banale en soi, a façonné le reste de mon existence ! Ce furent les premiers mots de ma mère à mon sujet et, dès lors, elle ne put s’adresser à moi sans utiliser ce terme à tout propos : « Mon bouton de rose » par ci, « ma rose de vents » par là.
Cela vous fait sourire, je le vois bien, mais vous ne pouvez imaginer mon calvaire, lorsqu’à 15 ans passés, elle essayait encore de me persuader que les filles naissaient dans les roses !
Pourtant, au début de ma vie, nous nous entendions bien, le rose et moi : toujours présent mais pas trop encombrant. J’appréciais ses teintes, allant du rose pâle au rose criard en passant par le rose bonbon. J’aimais à le porter dans mes cheveux, en parer mes poupées ou encore en déposer sur mes lèvres, en cachette.
Puis, peu à peu, de façon sournoise, le rose s’imposa, chassant toutes les autres couleurs de mon entourage. De la chambre de ma mère, il envahit la mienne, puis le salon et enfin toutes les pièces de la maison.
Edith Piaf passait en boucle sur le vieux tourne-disque de maman. Dois-je vraiment vous préciser le titre de la chanson ?
Rose, rose, rose ! Toujours du rose !
Lorsque je me risquais dehors, toute de rose vêtue, seuls ses éclats retenaient mon attention.
J’étais invariablement attirée, hypnotisée, envoûtée, maraboutée !
Quel cauchemar ! Quand j’y repense, je me demande encore comment je fis pour m’en délivrer…
Ma mère m'y aida beaucoup.
En mourant, la pauvre…
Elle succomba à une indigestion de barbe à papa, friandise rose dont elle raffolait. Ne dit-on pas que la gourmandise est un vilain défaut?
Je fus remise à un organisme d’aide à l’enfance, qui, vue l’étendue des dégâts, se hâta de m’enfermer dans un établissement spécialisé. Spécialisé en quoi ? Ca, je ne saurai vous le dire !
Quoiqu’il en soit, je m’y suis tout de suite sentie à mon aise, pour la simple raison qu’il marque ma rupture avec le rose. On m’en a aussitôt dépouillée pour me passer cet adorable vêtement blanc, un peu rugueux, aux manches longues qu’on peut attacher dans le dos, vous voyez ?
Oh non ! Aujourd’hui, j’ai mis celui à manches courtes, en votre honneur…
Où en sommes-nous, aujourd’hui, de nos relations, le rose et moi ? On s’ignore, je ne le vois plus.
Mais, j’aime beaucoup le vert, pas vous ?
L'abus du rose peut être nocif pour la santé...