Je ne suis pas de nature jalouse…Encore moins de ses ex !
J’en suis même plutôt fière, car ça prouve : Primo, que j’ai fait un bon choix ; secundo, que j’ai réussi là où elles ont échoué.
Cependant, à défaut de cadavre dans le placard, j’en ai une dans le tiroir qui, alors qu’elle prend la poussière depuis plus de vingt ans, s’accroche au fantasme irréalisable de me rafler la mise…
Au début, j’avoue ne pas avoir été très charitable. Après tout, c’était la guerre, j’ai vaincu et je l’ai laissée, gisante sur le champ de bataille, raflant mon trophée sans un regard de pitié pour mon adversaire.
Bien sûr, la passion violente qui nous animait, son « ex » et moi était telle que nous pouvions difficilement la camoufler, mais, n’est-ce pas une excellente thérapie que d’affronter ses propres souffrances ? En conséquence, et cela en toute bonne foi, je n’hésitai pas à lui faire comprendre - subtilement - qu’il lui serait bénéfique d’accepter sa défaite et d’aller chasser ailleurs.
A force d’acharnement, je parvins à museler la bête, épouser son ex et asseoir ma position par la production rapprochée de quelques mouflets.
J’en avais presque oublié son existence quand, quelques années plus tard, je la croisai par hasard sur notre lieu de vacances. Et parfois, le hasard ne fait pas bien les choses…
Il se trouve que ce jour-là exceptionnellement, je m’étais laissée aller à un certain relâchement vestimentaire, mes cheveux collés de sueur n’affichaient pas leur brillance légendaire et un méchant coup de soleil sur le nez pouvait laisser croire que je m’adonnais à la boisson.
Le visage tacheté de bisous baveux chocolatés, la bouche joliment maquillée de crème chantilly, je tentai un repli subtil derrière un poteau, malheureusement pas assez large pour dissimuler les gremlins, moi-même et ma gaufre…
D’autant que cette vieille ex, apercevant son ex, se rua sur lui, toutes dents dehors :
- Oh ! Mais quelle surprise ! Comment vas-tu ?
Et que je te bizouille, et que je te passe la main dans le dos, il ne m’en fallut pas plus pour surgir de mon pylône, les enfants en avant, brandis telles des épées parées pour l’estocade finale !
- Tu te souviens de ma femme…, avança mon bien-aimé.
A peine un regard, pas un bonjour, elle me présenta son dos dans une superbe ignorance…
Je restai immobile, plantée au milieu des gremlins, sentant la chantilly dégouliner le long de mon menton, à mesure que mes traits s’affaissaient. La bouche sèche, la langue collée au palais, je me trouvai dans l’incapacité de prononcer une parole. Quelle décadence !
Envolée, la répartie acerbe ; oublié, le regard moqueur ; disparue, la fière allure… J’étais sonnée…
Lorsque je repris mes esprits, le monde continuait à tourner, indifférent à ma cuisante humiliation. Enfin, presque…
- Qu’est-ce qui t’arrive ? T’étais pas très causante… parvint à articuler le père de mes enfants, grignotant ma gaufre.
Je tournai les talons, lançant la seule réponse qui s’imposait :
- Pffff….
Depuis, je rumine.
Depuis, j’écris tous les scénarios de la troisième manche.
Depuis, je ne mange plus de chantilly.
Depuis, je rêve de ce moment où, l’arbitre annoncera : « Jeu, set et match ! »
Je ne suis pas de nature jalouse…
Encore moins rancunière…